Suzanne et Charles Bouzats, une vie d’engagement

Une cérémonie de remise de la médaille des Justes parmi les nations a eu lieu le 11 avril 2024 en l’honneur de Suzanne et Charles Bouzats

Charles Bouzats est né le 9 novembre 1895 à Solférino dans les Landes. Il était pâtissier au 6 rue Saint-Pierre à Dax. Il se maria avec Marguerite, née Laborde, dite Suzanne, le 21 octobre 1933, mais le couple n’eut pas d’enfant. Glorieux soldat de la première guerre mondiale, son courage lui valut une citation à l’ordre du Régiment le 2 juillet 1918 et la Croix de Guerre avec médaille de bronze. Le 24 mars 1940, à l’âge de 44 ans, il fut rappelé au service armé à Mont-de-Marsan, puis à Bordeaux.

Ce n’est qu’après l’armistice qu’il retrouvera sa pâtisserie de Dax. C’est alors qu’il décide de s’engager dans la résistance. Sa pâtisserie devient un relais, un refuge et une cache d’armes.

Avec sa femme, ils ont sauvé de la mort Léa Kaluski pendant trois mois sans aucune rémunération financière, en la prenant en charge chez eux dans une chambre située au dessus de la pâtisserie, pendant que sa fille Bassia restait chez un autre couple de Dax, les Duplaissy. Ils se sont occupés de Léa avec sollicitude, humanisme et fraternité comme s’il s’agissait d’une proche parente. Lorsque les allemands venaient acheter des friandises ou consommer des glaces, Marguerite et Charles Bouzats avaient convenu que s’il appelait sa femme à voix très haute, il fallait vite cacher Léa dans un placard penderie. Charles Bouzats participe également à une filière d’évasion vers l’Espagne pour les aviateurs alliés, les juifs, les résistants pourchassés par la Gestapo, les réfractaires du STO, avant de rejoindre le groupe Léon des Landes-maquis de Libe à Téthieu. Il sera fait prisonnier par les allemands le 11 juin 1944. Il sera interrogé et torturé, mais ne donnera aucune réponse aux questions posées par les allemands sur le maquis de Téthieu. Suite à un conseil de guerre, il est condamné à la peine de mort, ainsi que Jean Capdeboscq, Jacques Dumas et André Anne. Les quatre maquisards seront exécutés le 13 juin 1944 au bois de Boulogne, où s’élève depuis 1945 un monument à leur gloire.

Suzanne Bouzats fut une héroïne de l’ombre, qui en toute discrétion s’est occupée de Léa Kaluski pendant plus de trois mois en dépit des risques encourus et au péril de sa vie.

 

Témoignage de Betty Kaluski

Longtemps j’ai cherché à honorer Madame et Monsieur Bouzats. Je n’avais aucune information les concernant pour constituer le dossier de la Médaille des Justes parmi les Nations.
L’inauguration du Parvis des Justes à Dax honorant la famille Duplaissy pour le sauvetage de ma mère et de moi-même a suscité la mise en œuvre de leur dossier facilité par l’aide du service Population de la Ville de Dax. Enfin Philippe Laborde, petit-neveu de Madame Bouzats, avec efficacité et enthousiasme a fourni tous les documents qui ont permis la cérémonie d’aujourd’hui.
Mes parents, Maurice et Léa Kaluski, Juifs originaires d’Europe de l’Est, sont venus en France, terre d’asile, des Droits de l’Homme et de la Liberté. Ils y travaillaient et étaient heureux.
Mais tout a basculé avec la guerre de 1939 suivie de « L’Etrange défaite » en juin 1940.
J’avais 9 ans, l’armée allemande avançait sur Paris. Avec de nombreux Parisiens nous avons pris la fuite jusqu’à Dax au quartier de la Torte.
Pendant que je jouais avec les enfants Duplaissy et Ciracq, mes parents sympathisaient avec Henriette et Henri Duplaissy. Les nouvelles de la capitale étaient apaisantes, le champagne pétillait, les soldats allemands cédaient leur place aux dames, ils étaient corrects.
Fallait-il rentrer à Paris se demandaient Maurice et Léa ?
Henri Duplaissy, était Franc-maçon, les informations en provenance d’Allemagne ne lui ont pas manqué. C’est pourquoi, sans hésiter sa femme et lui ont assuré mes parents de leur aide si en France, les conditions devenaient difficiles pour les Juifs, comme en Allemagne depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
En effet, dès octobre 1940 une sombre nuit s’est déployée sur les Juifs de France,rafles, internements, déportations. Fin juillet 1942, je joue avec les enfants Duplaissy dans leur jardin, devenue la quatrième fille de la maison, pendant que ma mère est cachée au-dessus de la pâtisserie de Charles Bouzats.
Comment en est-on arrivé là, si vite, avec qui ? Dans Paris, la terreur est palpable, a chaque coin de rue il y a des arrestations, des disparitions. Ma mère étant prévenue de l’imminence d’une rafle importante, on se cache chez des amis non Juifs.
Et la grande rafle a lieu, à Paris, les 16 et 17 juillet 1942, la RAFLE du VEL’D’HIV ! Des policiers Français arrêtent dans leurs appartements, à l’hôpital, des femmes, des enfants, des vieillards, des malades. Plus de 13000 personnes juives sont entassées au Vélodrome D’Hiver plusieurs jours et sont déportées sans retour. On croit vivre un cauchemar, la France a éteint ses lumières scintillantes des Droits de l’Homme.
Ma mère est aux aguets, plongée dans le désespoir, ne sachant quoi faire. Elle s’est alors souvenue des paroles d’Henri Duplaissy. Elle parvient à le joindre et lui demande si vraiment il peut nous secourir.
Alors tout est allé très vite. Il joint Madame et Monsieur Bouzats, pâtissier sur la place de Dax. Sans hésiter ils acceptent de cacher Léa Kaluski dans leur appartement au-dessus du magasin. Cette femme pourchassée, recherchée leur est inconnue, ils ne savaient rien d’elle. Mais face à l’injustice, en dépit des risques encourus ils ont pris Léa en charge. Pendant près de trois mois, ils ont partagé leur
vie quotidienne avec elle, sans rien lui demander en échange. Ils se sont occupés de ma mère comme d’une parente à qui il était interdit, de sortir, le moindre bruit suspect pouvait provoquer une dénonciation, l’arrestation, la mort !
Charles et Suzanne risquaient leur vie en cachant Léa, ma mère. Parfois je venais la voir quelques instants pour la tranquilliser. Je ressortais avec une friandise
offerte par Charles.

Dax se trouvait dans la France occupée ; un jour, lors d’une visite à ma mère, est entré un soldat allemand dans la pâtisserie. Un sang glacé m’a enveloppé. Il m’a regardé, s’est exprimé en français :
« Vous ressemblez à fille allemande avec chaussettes blanches. » J’étais pétrifiée, frissonnante, un cornet de glace à la main.
Qui allait-on arrêter? Depuis l’armistice de juin 1940, derrière l’étalage de tartelettes aux fraises et de cornets de glace se trouvaient des Résistants : Charles et Suzanne Bouzats. Dans la France occupée, ils ont combattu par tous les moyens l’envahisseur allemand et sauvé, entre autres, une femme
traquée parce que Juive, ma mère !

Ainsi, ces héros de l’ombre entrent au Jardin des Justes de la Nation à Jérusalem, avec toute ma gratitude.

Cérémonie de remise de la médaille des Justes parmi les nations en l’honneur de Suzanne et Charles Bouzats.

 

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